Gérontechnologie : évaluer pour développer (Tribune Libre à Muriel BOULMIER)

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Solutions pour bien vieillir
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Tribune Libre : Muriel BOULMIER
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Le chef du gouvernement a reçu trois rapports[i] dont le dénominateur commun tient à l’amorce de la transition démographique en France et surtout en Europe, vieux continent promis à devenir le plus âgé du monde en termes de population.

Chacun d’entre eux, dont les thèmes furent parfois superposés, ont clarifié le champ des priorités : maintenir l’autonomie. Le temps est venu de briser les synonymies entre vieillissement, vieillesse et dépendance, tout aussi différents qu’âge, grand âge, et les pathologies qui lui sont associées.


Le jeunisme ambiant élevé au rang de culte social entretient ce malentendu. Le nombre des personnes âgées retraitées croît, la population active se contracte, les jeunes souffrent du manque d’emploi et personne n’accepte plus d’être vieux ! Aussi l’illustration de la mutation qui doit s’opérer tient-elle dans les propos du Professeur Aquino « Il faut passer d’un regard qui dévisage à un regard qui envisage ». Les perspectives internationales traitées par Martine Pinville qui reprennent les politiques publiques dans de nombreux Etats, pointent aussi que la préservation de l’autonomie implique un repérage précoce des fragilités liées au vieillissement.

L’un et l’autre soulignent l’importance des tiers observateurs des risques encourus au quotidien, facteurs, épiciers, voisins bien-sûr, autant de courroies de transmission vers les élus et les professionnels. La France, qui compte plus de 17000 communes de moins de 500 habitants demeure un terrain privilégié de ce dépistage de proximité. L’organisation des épiciers d’Auvergne que j’ai eue l’occasion de décrire en 2010 est un exemple qui reflète bien l’efficacité de la méthode. Les concepteurs se sont appuyés sur la mise en réseau des observations, nous sommes là proches de la gérontechnologie.

Ceci pose d’ailleurs la question d’associer les TIC à chaque étape du vieillissement, et appelle plusieurs remarques. En premier lieu, les enseignements des sondages que j’avais étudiés lors de mes travaux entre 2009 et 2012 sur l’habitat et le vieillissement [ii], domaine privilégié de l’ambition des équipements technologiques : non seulement les personnes interrogées les associaient à la domotique des années 70 et son effet repoussoir, mais elles les jugeaient chères et élitistes.

Ensuite, lors du débat sur la dépendance en 2011, auquel j’ai participé en qualité d’experte, le groupe Société et Vieillissement, présidé par Annick Morel, a mis en lumière que les très nombreux rapports suggérant tour à tour préconisations et expérimentations n’ont malheureusement pas fait évoluer le marché promis aux gérontechnologies. Lequel n’a pas encore su rencontrer son public.

Enfin, il est intéressant de se pencher sur la perception qu’à la Commission européenne du vieillissement et les TIC, chantier initié par une communication le 14 juin 2007 et enrichi par le rapport parlementaire de Neena Gill « New technologies and elderly people ». Si le vieillissement n’est pas de compétence communautaire, l’innovation et le développement des nouvelles technologies le sont à plusieurs titres, notamment via le soutien à la performance des PME.

Depuis, d’innombrables appels à projets, forts d’expérimentations, ont fait l’apologie de cette opportunité. Notre ministère des Finances, secteur compétitivité des entreprises, a lancé bon nombre de projets dont celui qui a créé le CNR Santé en 2009.

Plusieurs questions se posent : La première, sur quelle taille d’échantillon se déploie l’expérimentation ? Qu’advient-il après celle-ci, y a-t-il une suite et qui la finance ? La seconde, quelle efficacité, quelle plus-value pour les personnes âgées elles-mêmes et leurs aidants ces actions ont-elles apporté ? Malgré les efforts déployés par les institutions françaises, européennes, les industriels, les collectivités territoriales, le marché demeure défaillant.
Les collectivités s’engagent peu, les consommateurs eux-mêmes restent frileux.

L’efficacité des technologies comme support est indéniable : elles ont une utilité sans conteste dans le domaine médical, parfois même médico-social, une optimisation dans le transfert des données, dans l’aide aux décisions. Alors, comment aller plus loin ? Le vieillissement représente désormais une période longue, en grande partie en bonne santé, vers la vieillesse. Quelques précautions sociétales et d’éthique paraissent indispensables pour accompagner cette nouvelle génération.

Même si toutes sortes d’informations nous envoient l’image de personnes âgées geek, la réalité paraît plus nuancée. D’ailleurs, cette réalité s’analyse aussi par le prisme des revenus des seniors qui ne sont pas tous les nantis du 21ème siècle. Le développement des technologies au service des personnes suppose de la persévérance et ce n’est pas le « robot majordome », Care-O-Bot (« JDD », 17 mars 2013) qui va bouleverser la situation.

Le marché ne s’exprimera pas forcément au travers de techniques révolutionnaires. La confiance s’établira au regard des résultats des évaluations médicales, organisationnelles, médico-économiques et des usages.

Les expérimentations simplistes, déclare Jean-Jacques Romatet, le nouveau président du CNR Santé, représentent un piège à éviter. Le pari sera gagné lorsque les financeurs (assurance maladie, conseils généraux, organismes de retraites, assurances…) seront garantis par une évaluation d’autorités tiers (je proposais la Haute Autorité de Santé ou les experts de la CNSA) que ces techniques offrent une plus-value de qualité à coût comparable.

Ceci suppose une standardisation des protocoles, la création de normes qui permettent aux équipements d’interagir. Dans ce cadre, le développement d’une filière industrielle est possible puisque nous disposons déjà en France d’un potentiel important de grandes entreprises, de PME et même de TPE, de réseaux de distribution…

Le rapport BROUSSY propose la création d’une agence des techniques de l’autonomie avec trois objectifs, labelliser, coordonner, communiquer, qui remplacerait le CNR santé créé il y a juste quatre ans. Ce dernier affiche des objectifs comparables et une même ambition : développer une filière industrielle.

L’urgence semble se situer au-delà des outils : l’évaluation de l’efficacité des dispositifs, l’engagement des financeurs, la démonstration du respect et de la capacité des finances publiques demeurent le socle de ce projet. A l’heure du tout numérique, la demande de services de proximité, de présence humaine chaleureuse est une ligne forte des sollicitations des personnes âgées tant en Europe qu’en France. Aussi, le dernier enjeu, le plus important, reste de susciter la confiance, l’appropriation et le désir des utilisateurs.

Muriel Boulmier
Chef d’entreprise (Groupe Ciliopée) et Membre du Comité d’éthique du CNR santé
Auteur des rapports de mission ministérielle « L’adaptation de l’habitat au défi de l’évolution démographique : un chantier d’avenir » (2010) et « Bien vieillir à domicile : enjeux d’habitat, enjeux de territoires » (2012)

[i] – Rapport du Comité Avancée en Age « Anticiper pour une autonomie préservée : un enjeu de société », Pr. Aquino, Patrick Gohet et Céline Mounier, -Rapport « L’adaptation de la société au vieillissement de sa population, France : année zéro », Luc Broussy – Rapport de mission parlementaire « Relever le défi politique de l’avancée en âge : perspectives internationales », Martine Pinville, Guillaume Malochet
[ii] L’adaptation de l’habitat au défi de l’évolution démographique : un chantier d’avenir – 2010
Bien vieillir à domicile : enjeux d’habitats, enjeux de territoires -2012


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Cet article a été publié par la Rédaction le

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