Marché de l’audition : enjeux économiques et conflits d’intérêt

Partager cet article

Troubles de l’audition : 6 millions de Français concernés

En novembre 2011, une étude Sonalto réalisée par Opinion Way auprès de 1 000 personnes âgées de 45 ans et plus dressait le bilan d’une situation dont l’enjeu semble sous-estimé.

La France compte 6 millions de malentendants, dont la plupart souffrent de presbyacousie, une perte naturelle des facultés auditives due au vieillissement. Bien que cette gêne acoustique se manifeste dès 60 ans, on constate que les personnes attendent en moyenne l’âge de 72 ans pour s’équiper d’une audioprothèse. Ainsi, seuls 17 % des malentendants possèdent aujourd’hui une aide auditive en mesure d’améliorer leur confort d’écoute au quotidien.

Si l’Allemagne et l’Angleterre affichent un taux d’équipement 2 à 3 fois supérieur à celui de notre pays, c’est sans doute en raison des freins psychologiques qui incitent les français à repousser le moment de s’équiper. Le refus de vieillir figure en effet en bonne place dans les causes expliquant le déni des personnes malentendantes. Bien que la plupart des gens éprouvent dès l’âge de 45 ans des troubles de l’audition qui les contraignent par exemple à faire répéter leurs interlocuteurs ou à monter le son de la télévision, ils sont nombreux à préférer se résoudre à cette situation qu’ils associent souvent au handicap. Autre point souligné dans un communiqué de presse publié par Amplifon en février dernier : les personnes souffrant de troubles de l’audition avouent éprouver des doutes quant à l’efficacité et la discrétion des prothèses auditives.

S’il est un point sur lequel s’accordent 91 % des personnes interrogées dans le cadre de l’étude Opinion Way pour Sonalto, c’est que le coût de ces prothèses n’est pas justifié. Rappelons que leur prix moyen est de 1 700 € (chiffre Santéclair – 2010) et qu’elles font l’objet d’un très faible remboursement par la sécurité sociale.

Dans ce contexte, certains fabricants ont donc misé sur l’innovation. La mise sur le marché d’un nouveau type d’aide auditive moins coûteux qui pourrait séduire un nombre important de personnes non encore équipées, attirées par le fait de se voir proposer une solution plus économique et non médicalisée.

Prothèses auditives et assistants d’écoute : le duel des fabricants

C’est le pari qu’a relevé la société SONALTO en lançant un nouveau concept d’oreillette auditive, un « assistant d’écoute » d’une grande simplicité et jusqu’à cinq fois moins cher qu’une audioprothèse classique (moins de 300 €). Cet appareil, dont l’achat ne nécessite aucune consultation ORL préalable, est accessible en pharmacie en libre service. Baptisée Octave, l’innovation de Sonalto est d’ores et déjà un succès, avec plus de 5 000 clients à ce jour et 1 million d’euros de chiffre d’affaires pour le premier exercice de la société. Faisant figure de référence sur le marché, la marque affiche un objectif ambitieux : distribuer son produit dans plus de 10 000 officines et vendre 80 000 unités par an d’ici 2015.

La société Tinteo propose également des assistants d’écoute conçus pour « accroître la qualité de vie des personnes présentant des troubles auditifs ». Avec ses deux amplificateurs d’écoute, l’un simplifié (TEO FIRST, 199 €), l’autre intelligent et high-tech (TEO, 249 €), Tinteo offre la promesse d’un plus grand confort auditif au quotidien. Amélioration de la clarté, balance entre les oreilles, spatialisation du son, focalisation sur la voix, … À ce prix, l’offre a de quoi séduire.

Des initiatives qui irritent les leaders de l’audioprothèse

L’arrivée sur le marché de ces nouveaux concurrents provoque néanmoins le courroux de certains audioprothésistes, Audika en tête. Le leader français de la correction auditive exprime en effet haut et fort sa consternation face au développement d’une offre que le consommateur aura tôt fait de comparer à une réelle prothèse auditive.

Accusés par Audika d’être en partie responsable des mauvais chiffres de la société pour l’exercice 2011, les fondateurs de Sonalto, Louis Blohorn et Maxence Petit, se sont exprimé le 26 septembre dernier dans une tribune éloquente : « Audika vend à des prix prohibitifs un produit de santé pourtant indispensable à des millions de français. Un appareil acheté chez le fabricant coûtera aux distributeurs moins de 300 € lorsqu’il sera revendu près de 2 000 € au client final ! Des marges qui font la fortune des audioprothésistes et la misère des plus de 5 millions de français qui souffrent d’une perte auditive même légère, restés sans solution. […] Nous voulons donc alerter l’opinion publique sur le fait qu’elle est l’otage de ce type de fonctionnement odieux. Une solution comme la nôtre, déjà plébiscitée par plus de 10 000 utilisateurs en moins de deux ans, et qui existe dans de nombreux pays, doit naturellement et logiquement coexister avec les prothèses auditives. »

Dès le lendemain, l’UNSAF, le Syndicat National des Audioprothésistes, exprimait son point de vue sur le sujet en publiant un communiqué de presse titré « La vérité sur les assistants d’écoute ». Tenant à « mettre en garde contre les effets dommageables de leur utilisation comme substitut à un véritable appareillage auditif, délivré par l’audioprothésiste, après consultation médicale », elle exprime ainsi son soutien à Audika, avant d’accuser le produit de Sonalto de « retarder le dépistage d’une éventuelle pathologie et/ou la prise en charge adéquate de la perte d’audition ».

L’UNSAF a par ailleurs saisi le Tribunal de Grande Instance de Paris « pour le litige résultant de la commercialisation contestable et contraire aux dispositions du Code de la santé publique du produit Octave par Sonalto ». La Justice décidera prochainement du sort de l’assistant auditif de Sonalto en décidant s’il s’agit ou non d’une prothèse auditive et en déterminant le risque éventuel auquel il expose les consommateurs. À ce sujet, l’UNSAF a tenu à préciser que « la notion abusive d’assistant d’écoute n’existe pas dans le code de la santé publique ».

Médecin ORL ayant participé à la conception de l’assistant d’écoute Octave, Patrick PETIT s’exprimait l’an dernier sur ce point par le biais d’une tribune libre : « Il ne s’agit pas d’une prothèse auditive mais d’un appareil d’amplification numérique destiné à ces presbyacousies débutantes sans ou avec peu de perte audiométrique ». Un produit que l’on pourrait sans doute comparer aux lunettes loupes conçues pour les personnes presbytes et accessibles sans ordonnance dans la plupart des pharmacies.

L’association Bucodes-SurdiFrance, qui assure des formations de sensibilisation aux problèmes des personnes devenues sourdes à l’âge adulte et édite la revue 6 millions de Malentendants, tient pour sa part à recentrer le débat. Dans un communiqué de presse publié le 12 octobre, elle insistait en effet sur la nécessité de ne laisser « aucun enjeu économique […] prendre le pas sur l’intérêt des usagers », ajoutant qu’« en matière d’équipement en aide auditive il n’y a malheureusement pas de vérité unique. Un assistant d’écoute peut être une bonne porte d’entrée dans l’appareillage ».

Entre les fabricants traditionnels du secteur qui justifient le coût de leurs produits par leur expertise, se posant en farouches défenseurs de la santé du consommateur, et ceux qui proposent une solution d’appoint, en s’inscrivant en faux contre les accusations de concurrence déloyale, la bataille est engagée sur le marché de l’audition.

Acquisition d’Audition Santé par Sonova : un rachat qui fait du bruit

En toile de fond du conflit engagé sur les audioprothèses, un autre fait rage, qui soulève le problème de la verticalisation du marché. En effet, avec le rachat en juin dernier du réseau de distribution Audition Santé par le fabricant Sonova, se pose entre autre la question du choix désormais offert à une personne malentendante qui se rendra dans un centre Audition Santé pour s’équiper de prothèses auditives.

Suite à cette acquisition, de nombreux audioprothésistes ont appelé au boycott de Sonova par voie de pétition en ligne. Le Vice-Président de l’UNSAF, Luis Godinho, a également exprimé ses craintes concernant les conséquences de ce rachat sur le marché de l’audition : « S’il est vrai que les fabricants propriétaires de réseaux de distribution existent depuis longtemps à travers l’Europe, nous conservions une spécificité française, dont l’UNSAF était jusqu’ici assez fier : à savoir un marché animé par un grand nombre d’audioprothésistes indépendants ».

S’opposant à ce boycott, le Bucodes-SurdiFrance souligne toutefois la nécessité d’instaurer et de respecter des règles strictes telles qu’un affichage des prix permettant d’identifier clairement les appareils distribués par chaque audioprothesiste. Il réclame par ailleurs « une déconnexion de la vente et du contrat de maintenance », dénonçant ainsi un système qui favorise les grandes enseignes au détriment des audioprothésistes indépendants. Enfin, elle encourage la création d’un livret d’accueil remis à la personne malentendante lors de sa première visite, dans le cadre des droits du patients définis par les lois de 2002. Y figureraient des informations essentielles concernant la surdité, les appareils, l’effet Larsen et la technologie numérique, les canaux de réglages, la compression fréquentielle, les limites de l’appareillage, les prix, le remboursement, l’importance du suivi, et les associations de malentendants.

Le plan gouvernemental sur le Handicap Auditif

Projet d’une durée de trois ans dont les objectifs énoncés sont d’améliorer la prévention, de favoriser une meilleure prise en compte de la déficience auditive et de rendre notre société plus accessible, ce plan d’un budget de 52 millions d’euros s’annonce dores et déjà décevant pour les associations fédérées au sein du Bucodes-SurdiFrance. Dans un communiqué de presse daté du 26 septembre, l’association dénonçait en effet l’absence totale de progrès réalisés à ce jour sur deux problématiques majeures : «l’accompagnement de la personne devenant sourde et la prise en charge de l’appareillage auditif dont le reste à charge demeure particulièrement important (la prise en charge de la Sécurité Sociale est de 119 € pour un appareillage coûtant en moyenne 1500 €)», et ce malgré les 17 propositions du Bucodes-SurdiFrance pour améliorer la prise en charge de l’appareillage auditif. À trois mois de la clôture de ce plan, l’association tire le signal d’alarme.

Marché au fort potentiel, le secteur de l’audioprothèse éveille de nombreux conflits d’intérêt dont les enjeux tendent à faire oublier les premières personnes concernées, à savoir les personnes malentendantes.
Une chose est sûre, la bataille du marché de l’audition se joue aujourd’hui ouvertement sur le terrain de la communication.

Autre signe des divers conflits en cours, alors que nous sommes en train de finaliser la rédaction de ce dossier, un communiqué de l’UNSAF qui alerte face au lancement d’une offre « Tchin Tchin Audio » par la société Afflelou.


Partager cet article

Cet article a été publié par la Rédaction le


1 réflexion sur “Marché de l’audition : enjeux économiques et conflits d’intérêt”

  1. Alors que le marché de l’audition continue toujours de faire du bruit, l’assureur MMA diffuse une vidéo explicative sur les divers remboursements des aides auditives

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Retour en haut