Dans une salle comble, animée par des prototypes, des réflexions audacieuses et des débats pratiques, la table ronde « Téléassistance en Europe : vers une nouvelle ère du care connecté » a offert quelque chose de rare dans les discussions sur la santé numérique : de la nuance.

Modérée par l’auteur et journaliste Carl Honoré, la session réunissait deux figures majeures du secteur britannique de la technologie au service du care (TEC) — Alison Scurfield, Directrice générale de la Technology Services Association (TSA), et Maxine Potter, Directrice Royaume-Uni de Careium, l’un des plus grands acteurs européens de la téléassistance. En près de quarante minutes, elles ont dressé une cartographie franche des opportunités et des obstacles en Europe, affirmant que le prochain grand bond ne dépendra pas des objets, mais des personnes, de la culture et de la collaboration.
La téléassistance : Un secteur en pleine transformation
Carl Honoré a introduit la discussion en la reliant à l’esprit du festival, qui assume la pluralité des innovations liées au vieillissement. Pourtant, lorsqu’il a demandé ce qui les enthousiasmait le plus, aucune n’a cité l’objet le plus spectaculaire.
Pour Maxine Potter, le véritable tournant vient de l’intelligence artificielle, non pas dans sa dimension futuriste, mais comme outil concret de prévention et de care proactif. L’IA, explique-t-elle, aide déjà les professionnels à interpréter les données comportementales issues des capteurs : « On peut voir si Mme Smith n’a pas fait son thé le matin ou ne s’est pas levée. Cela déclenche des alertes qui nous permettent d’agir avant l’urgence. »
Alyson Scurfield confirme l’abondance d’innovations — « le hall est rempli d’incroyables gadgets » — mais met en garde contre l’erreur qui consiste à partir de la technologie plutôt que des personnes. Elle évoque son propre diabète : son capteur est performant, mais « est-il connecté à mon dossier médical ? Non. Est-il connecté au care social ? Non. » La vraie révolution, dit-elle, viendra de services intégrés et adaptés aux besoins réels, pas imaginés.
Téléassistance en Europe : vers une nouvelle ère du care connecté : Le Replay
(table ronde en anglais)
Co-produire, pas supposer
Les deux intervenantes sont revenues à plusieurs reprises sur la co-production : concevoir avec les utilisateurs, et non à leur place.
Careium, explique Maxine Potter, réalise des visites à domicile pour observer les usages et recueillir les retours, plutôt que de s’appuyer sur des enquêtes génériques. Beaucoup de personnes âgées, dit-elle, apprécient tellement la voix humaine qu’elles appuient parfois sur leur pendentif d’alerte juste pour parler à quelqu’un.
Alyson Scurfield élargit la co-production bien au-delà des utilisateurs finaux : elle inclut les financeurs, les aidants familiaux, les professionnels, les collectivités, les associations, et les décideurs nationaux. C’est un processus continu : « Mes besoins de diabétique aujourd’hui peuvent être complètement différents après un épisode la semaine prochaine. »
La co-production n’est donc pas une case à cocher, mais un mode de conception évolutif.
La transition numérique au Royaume-Uni : avancées et difficultés
La table ronde a offert un regard sans filtre sur la transition massive du Royaume-Uni de l’analogique vers le numérique (A2D), qui touche ses derniers mois. Elle concerne des millions de personnes vulnérables dont les alarmes et capteurs fonctionnaient sur le réseau cuivre.
Pour Maxine Potter, ce processus est « difficile » et « attendu depuis longtemps », rappelant que beaucoup doutaient qu’il ait réellement lieu. Careium a misé sur la planification et les partenariats, notamment avec BT et CSL, pour tester les dispositifs, assurer la résilience et éviter les pannes lors des migrations. La leçon générale, dit-elle, est que personne ne peut traverser cette transition seul.
Alyson Scurfield replace l’A2D dans le contexte politique : le nouveau gouvernement britannique priorise trois axes :
- soutenir les personnes à domicile et à l’échelle locale
- passer du traitement des maladies à la prévention
- mener la transition numérique en renforçant la résilience
Mais elle évoque de nombreux obstacles : les processus d’achat, les flux de données, l’interopérabilité et surtout la culture. Les technologies ne se diffuseront pas si les professionnels n’y voient pas un soutien à leur mission : « C’est une transformation… un changement culturel. »
Collaboration internationale : une urgence
Alyson Scurfield insiste sur l’urgence d’une coopération internationale. La TSA est unique : peu de pays possèdent une organisation regroupant fournisseurs, financeurs et opérateurs sous un même cadre qualité.
Lors d’un récent déplacement aux États-Unis, elle a constaté que les mêmes problèmes, manque de main-d’œuvre, services en silos, absence d’interopérabilité, sont affrontés séparément. Elle invite les acteurs français à envisager une structure commune avec le Royaume-Uni : « Ces problèmes ne changent pas. Si la France veut collaborer, faisons-le. »
Maxine Potter acquiesce et rappelle que Careium travaille déjà en Suède, Norvège, Pays-Bas et France. La coopération transfrontalière, dit-elle, n’est pas optionnelle : « Il y a de la place pour tout le monde. La collaboration doit être au centre. »
Vieillissement et personnalisation : un changement de regard
Les intervenantes balayent l’idée que les personnes âgées seraient hostiles au numérique. Au contraire, elles en attendent des solutions discrètes et modernes.
Maxine Potter décrit la forte demande pour des dispositifs type smartwatch, qui se fondent dans le quotidien plutôt que de signaler la fragilité. Alyson Scurfield élargit le propos : la personnalisation doit commencer par la question « Comment voulez-vous vivre ? » plutôt que par une liste de pathologies. Ce changement de logique permet une diffusion durable : la technologie devient un support de valeurs, et non un produit standard.
IA dans la téléassistance : Un outil, pas un substitut
Interrogées sur l’intelligence artificielle, les deux expertes rejettent l’idée d’une IA remplaçant l’humain en situation d’urgence.
Maxine Potter est catégorique : « Je ne voudrais jamais qu’une personne appuie sur un bouton d’alerte et qu’une IA réponde. » Chez Careium, l’IA ne sert qu’à des tâches non critiques : rappels de médicaments, tests d’alarme, analyse de données.
Alyson Scurfield met en garde contre l’enthousiasme aveugle : « Avant de se précipiter, il faut revenir à la sécurité. Nous avons besoin de règles claires. » Bien utilisée, l’IA peut néanmoins toucher des personnes isolées, comme pendant l’isolement lié au Covid. Mais elle doit servir le jugement humain, pas le remplacer.
S’il fallait lever une seule barrière…
Carl Honoré conclut en demandant à chacune quelle barrière elles supprimeraient.
Pour Alyson Scurfield : l’interopérabilité. Sans standards communs et plateformes ouvertes, la prévention restera limitée. Elle appelle à une norme mondiale permettant à chacun d’être accompagné grâce à des données visibles « là où et quand c’est nécessaire ».
Maxine Potter, fidèle à son propos, veut réduire les obstacles par plus de collaboration, d’anticipation et d’implication humaine, surtout en période de transition.
Téléassistance en Europe : Le point de bascule
Si les stands du festival montrent l’avenir de la téléassistance, cette table ronde en a révélé les fondations. Trois idées clés émergent :
- la technologie n’est pas la réponse, mais elle peut aider à la trouver
- la relation humaine est irremplaçable
- les vraies avancées viendront de la coopération transsectorielle, transfrontalière et interdisciplinaire
Face au choc démographique à venir, la téléassistance n’est plus un marché de niche : elle arrive à un point de bascule, où design réfléchi, infrastructures partagées et transformation culturelle peuvent faire du care connecté une norme plutôt qu’un privilège.
Et cette réussite dépendra moins des capteurs brillants que de ce que Scurfield appelle « la force du collectif : les professionnels, les leaders, et la culture que nous créons autour du changement. »
Cet article a été publié par la Rédaction le



