En 2024, le Japon a franchi un cap aussi symbolique qu’inquiétant : pour la première fois depuis le début des statistiques modernes à la fin du XIXe siècle, le pays a enregistré moins de 700 000 naissances. Avec exactement 686 061 bébés nés l’an dernier, le pays poursuit une trajectoire de déclin démographique amorcée depuis plusieurs décennies, sur fond de vieillissement massif de la population et d’effondrement du taux de fécondité. Une situation qualifiée d' »urgence silencieuse » par le Premier ministre Japonais Shigeru Ishiba.

- Le Japon atteint un record historique de dénatalité avec moins de 700 000 naissances en 2024 et un taux de fécondité à 1,15 enfant par femme
- Vieillissement accéléré et déséquilibre générationnel mettent à mal les services publics et le modèle socio-économique
- Facteurs clés : coût de la parentalité, précarité de l’emploi, culture du travail rigide, faible soutien aux familles
- Le gouvernement lance des mesures incitatives (allocations, congés, frais d’accouchement couverts) mais reste en deçà des standards internationaux
- Sans changement profond, la population japonaise pourrait tomber sous les 100 millions d’habitants d’ici 2050, menaçant la viabilité du pays
Baisse des naissances au Japon : Une “urgence silencieuse”
Le recul des naissances n’est pas chose nouvelle au Japon. Depuis 2016, chaque année affiche une baisse par rapport à la précédente. Mais 2024 marque un tournant particulièrement marquant et inquiétant, avec une baisse de plus de 41 000 naissances en un an.
Le taux de fécondité national a atteint le niveau historiquement bas de 1,15 enfant par femme, bien au-deçà du seuil de renouvellement des générations fixé à 2,1. Parallèlement, les décès ont été deux fois plus nombreux que les naissances, avec 1,6 million de morts enregistrés en 2024, accentuant un déclin démographique rapide et irréversible à court terme.

Le poids du passé : du baby-boom à l’hiver démographique
Le contraste est saisissant avec les décennies d’après-guerre, marquées par un fort baby-boom entre 1971 et 1974. Durant cette période, le Japon enregistrait jusqu’à deux millions de naissances par an. Mais ce boom a laissé place, dès les années 1990, à un déclin progressif, nourri par une conjonction de facteurs : coût élevé de l’éducation, stagnation économique, précarité de l’emploi, culture du travail compétitive et source de stress et transformation des modes de vie.
La société japonaise est également confrontée à un vieillissement sans équivalent parmi les pays développés. Plus de 20 000 localités comptent une majorité d’habitants âgés de 65 ans et plus, selon le ministère de l’Intérieur. Cette déformation de la pyramide des âges compromet le fonctionnement des services publics, notamment dans les secteurs de la santé, des retraites et de l’assurance-maladie, déjà mis à rude épreuve par une base de cotisants se réduisant d’année en année.
Pourquoi les Japonais font-ils moins d’enfants?
À ces enjeux structurels s’ajoutent des réalités du quotidien qui freinent les projets familiaux. Le coût de la parentalité, parfois prohibitif, en dissuade plus d’un. Les soins liés à la grossesse ne sont pas remboursés par la sécurité sociale japonaise, considérant que la maternité n’est pas une maladie. Des dépenses qui peuvent dépasser les 600 000 yens (environ 4000 euros), entièrement à la charge des parents. À cela s’ajoutent des allocations familiales très modestes et une inflation qui réduit encore le pouvoir d’achat des jeunes générations.
Le marché du travail, lui, reste peu conciliant. Environ 40 % des actifs occupent des emplois précaires, souvent sans accès au congé parental rémunéré. Pour de nombreuses femmes, avoir un enfant signifie faire une croix sur leur carrière dans un monde professionnel encore très rigide et dominé par des normes patriarcales. Pour les hommes, les longues heures de travail, parfois jusqu’à tard dans la soirée, rendent difficile l’idée même de fonder une famille.

Enfin, une partie croissante de la jeunesse japonaise revendique le célibat comme un choix de vie. Le mariage et la parentalité sont perçus comme des contraintes supplémentaires dans un quotidien déjà marqué par l’instabilité économique et la charge mentale. Près d’un Japonais sur quatre dans la trentaine ne souhaite ni se marier, ni avoir d’enfants, selon des enquêtes récentes.
Le gouvernement face au défi démographique du Japon
Conscient de la gravité de la situation, le Premier ministre Shigeru Ishiba a dévoilé une série de mesures pour tenter d’enrayer le déclin. Parmi elles : la flexibilisation du travail, la promotion de la parentalité à travers des aides financières et logistiques, ainsi qu’un soutien renforcé aux régions rurales dépeuplées. Des expérimentations numériques sont également en cours, comme des applications pour faciliter les rencontres et relancer les mariages. Le gouvernement japonais ambitionne même de couvrir tous les frais liés à la grossesse d’ici avril 2026, en versant 500 000 yens par enfant. Un « budget record » est en négociation pour faire face aux enjeux démographiques du pays.
Mais le Japon reste encore loin des standards internationaux en matière de politiques familiales. Le pays consacre environ 2% de son PIB aux aides aux familles, contre plus de 3% dans la plupart des autres pays développés. Les experts estiment qu’un véritable sursaut politique et culturel est nécessaire pour inverser durablement la tendance.

Baisse des naissances au Japon : Un avenir incertain
Sans une réaction massive et coordonnée, les projections démographiques sont alarmantes : la population japonaise pourrait chuter sous la barre des 100 millions d’ici 2050, mettant en péril la viabilité économique du pays. La robotisation et l’intelligence artificielle, longtemps perçues comme des solutions à la pénurie de main-d’œuvre, ne suffiront pas à compenser la disparition progressive d’une part significative de la population.
L’urgence démographique japonaise n’est pas un signal lointain : c’est une réalité présente, palpable, et dont les effets se font sentir dans toutes les sphères de la société. Si le Japon reste à la croisée des chemins, le temps presse pour qu’il trouve une voie pérenne entre tradition et modernité, individualisme et solidarité, croissance et prospérité.
Cet article a été publié par la Rédaction le