La Tunisie aborde une étape charnière dans son évolution démographique. Les dernières statistiques de l’Institut national de la statistique (INS) révèlent une double tendance préoccupante : recul des mariages et des naissances d’un côté, et vieillissement accéléré de sa population d’un autre. Ces mutations, déjà visibles dans la pyramide des âges, annoncent des bouleversements sociaux et économiques majeurs.

- La Tunisie connaît un vieillissement accéléré, avec 16,9 % de plus de 60 ans en 2024 contre 11,9 % dix ans plus tôt, et un âge moyen de 35,5 ans.
- La natalité recule fortement : –9,5 % en un an, avec un taux de fécondité tombé à 1,7 enfant par femme, en dessous du seuil de renouvellement.
- La croissance démographique ralentit à 0,87 % par an, son plus bas niveau depuis l’indépendance, mettant en tension retraites et marché du travail.
- Le système de santé et l’organisation familiale sont fragilisés par l’urbanisation, l’emploi féminin et le manque d’infrastructures gériatriques.
- Les experts appellent à une stratégie publique coordonnée : soutien à la natalité, réduction des inégalités territoriales, investissement dans la gériatrie et développement de la Silver Économie.
Tunisie : Moins de mariages, moins de naissances
Selon le bulletin mensuel de juillet 2024, le pays a enregistré 70 942 mariages contre 78 115 l’année précédente. Cela représente une baisse de 9,2% en un an, soit plus de 7 000 unions en moins.
La natalité suit le même chemin : les naissances vivantes sont passées de 147 242 en 2023 à 133 322 en 2024, soit une diminution de 9,5%. Le taux de fécondité, mesuré à 1,7 enfant par femme, demeure désormais en deçà du seuil de renouvellement des générations (2,1).
Ces tendances prolongent un mouvement amorcé depuis plusieurs années, influencé par le report de l’âge au mariage, les contraintes économiques des jeunes ménages, la priorité donnée à la carrière professionnelle et la hausse du coût du logement.

Un ralentissement historique de la croissance démographique
Le Recensement général de la population et de l’habitat 2024 confirme cette inflexion. La Tunisie compte 11,97 millions d’habitants au 6 novembre 2024, soit une augmentation de 989 415 personnes par rapport à 2014. Mais la progression annuelle moyenne n’est plus que de 0,87%, le plus bas niveau depuis l’indépendance du pays.
En effet, le pays a longtemps connu une dynamique soutenue, avec un pic de croissance de 2,48% par an en 1984, mais cette phase est désormais révolue. Aujourd’hui, la population active (15-59 ans) représente encore 60,3% des habitants, mais sa part tend à se contracter, tandis que la proportion des seniors grimpe.
Tunisie : Un vieillissement accéléré de la population
Les chiffres de l’INS illustrent un basculement démographique profond :
- Les moins de 5 ans ne représentent plus que 5,9% de la population contre 19% en 1966.
- Les plus de 60 ans atteignent désormais 16,9%, soit une hausse de cinq points en dix ans.
- L’âge moyen s’établit à 35,5 ans, contre 23,7 en 1966.
Le taux de dépendance des personnes âgées (nombre de seniors rapporté à la population active), s’élève à 28%, contre 18% en 2014. L’indice de vieillissement (rapport entre plus de 60 ans et moins de 15 ans) s’élève quant à lui à 74%, traduisant le rétrécissement progressif de la base de la pyramide des âges.

Des défis multiples pour l’État Tunisien
Ce vieillissement soulève des enjeux sociaux complexes. Sur le plan économique, il risque de peser sur la productivité et l’épargne nationale, tandis que le système de retraite par répartition pourrait se voir menacer face au déficit croissant entre cotisants et bénéficiaires. Le système de santé sera également mis sous tension avec l’augmentation des pathologies chroniques et dégénératives.
À plus court terme, l’éducation et la formation devront s’adapter au ralentissement du renouvellement des générations, et le marché du travail à la contraction du vivier de jeunes actifs. Les disparités régionales, accentuées par la concentration urbaine dans le Grand Tunis, Sfax, Nabeul ou Sousse, accentuent encore les pressions sociales.
Une organisation familiale et médicale à réinventer
Traditionnellement, la prise en charge des personnes âgées en Tunisie repose sur la solidarité familiale. Confier un parent à une structure extérieure reste souvent perçu comme un tabou culturel. Mais cette organisation se heurte à de nouvelles réalités : urbanisation, migrations internes et internationales, emploi féminin croissant…
Actuellement, le pays ne dispose que de très peu de maisons de retraite, et les établissements médicalisés de type EHPAD sont quasi inexistants. Cette rareté accroît la pression sur les familles, alors même que l’allongement de la durée de vie et l’augmentation des pathologies liées à l’âge exigent des soins spécialisés et continus.
Le gouvernement a annoncé la création d’une filière de gériatrie (qui n’était pas enseignée en médecine jusque-là, seulement par le biais de courtes formations) et l’extension progressive du réseau d’accueil, mais les besoins restent très largement supérieurs aux capacités existantes.

Vieillissement démographique en Tunisie : Quelles réponses possibles ?
Les démographes appellent à une stratégie publique coordonnée. Parmi les leviers évoqués :
- Incitations familiales (fiscalité, logement, services de garde) pour soutenir la natalité
- Conciliation vie professionnelle et vie familiale grâce à des horaires flexibles et des services de proximité
- Soutien à l’emploi et au pouvoir d’achat des jeunes ménages
- Réductions des inégalités territoriales en matière d’accès aux soins et services
- Mais surtout, investissement dans la gériatrie et la santé pour anticiper les besoins d’une population vieillissante
En parallèle, l’émergence de la Silver Économie pourrait transformer ce défi en opportunité, en développant des services et des innovations destinés aux seniors, tout en valorisant leur rôle dans la transmission des savoirs.
Si la Tunisie n’est pas encore une société « vieille », elle s’y dirige inexorablement. La clé résidera dans la capacité de l’État à ajuster ses politiques sociales, économiques et sanitaires pour préserver l’équilibre intergénérationnel, le dynamisme économique et la cohésion sociale.
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