Lors de la deuxième journée du Festival SilverEco Bien-Vieillir 2025, une table ronde matinale intitulée « Résidences de demain : IA, soutien aux équipes et parcours numériques du bien-être » a réuni trois experts travaillant à l’intersection du vieillissement, des soins et de la technologie. Modérée par Stela Shiroka, chercheuse basée à Vienne et cheffe de projet au Ludwig Boltzmann Institute for Digital Health and Patient Safety, la discussion a exploré la manière dont les établissements pour seniors et les maisons de soins sont transformés par la digitalisation, et ce qu’il faudra pour que cette évolution reste centrée sur l’humain.

Stela Shiroka a d’emblée dressé le tableau d’un secteur sous tension : grave pénurie de personnel, hausse de la charge de travail des aidants professionnels et risques croissants d’isolement et de déclin cognitif chez les personnes âgées. Dans ce contexte, les outils d’assistance basés sur l’IA, les capteurs intelligents et les parcours numériques de suivi de santé apparaissent comme des alliés prometteurs, tout en soulevant de nouveaux défis.
Trouver l’équilibre entre autonomie et technologie
Représentant l’approche design et opérationnelle, Carlo Cavandoli, partenaire du groupe italien Specht Group, qui développe et gère des résidences seniors en Italie et en Allemagne, a rappelé que toute implantation technologique repose sur un principe simple : « garantir l’autonomie de nos résidents ».
Il a souligné que la réussite d’un déploiement dépend autant de la formation des équipes que des dispositifs eux-mêmes. « Si vous introduisez une technologie et que les personnes qui doivent l’utiliser ne savent pas comment s’en servir, sa durée de vie sera très courte », a-t-il noté.
Le Specht Group s’est récemment associé à Amazon pour intégrer dans ses résidences des appareils Alexa personnalisés, équipés de capteurs de mouvement et de profondeur capables de détecter les chutes, les variations de température ou des comportements inhabituels. Au-delà de la sécurité, Carlo Cavandoli a mis en avant le potentiel de compagnons basés sur l’IA pour soutenir l’autonomie au quotidien, en permettant aux résidents d’interagir par de simples commandes vocales.
Mais la technologie, selon lui, doit aussi renforcer la communauté plutôt qu’isoler les individus. Dans les salles d’activités collectives, où se déroulent jeux, sports, musique et rencontres sociales, des outils numériques sont déjà utilisés pour stimuler les interactions et la participation. Malgré ces avancées, Carlo Cavandoli reconnaît un obstacle persistant : beaucoup de résidents actuels restent méfiants face à des interfaces qu’ils perçoivent comme complexes. « Ils voient un gros appareil avec des menus compliqués… pour eux c’est un choc », a-t-il expliqué, tout en prévoyant que les futures générations de seniors arriveront avec une meilleure aisance numérique.
Résidences de demain : IA, soutien aux équipes et parcours numériques vers le bien-être : Le Replay
(Table ronde en anglais)
IA : Réduire la charge administrative pour redonner du temps humain
Du côté allemand, Frank Leyhausen, directeur général de Reifegrad4 et observateur de longue date de la silver économie, a pointé l’une des opportunités les plus immédiates : alléger la charge administrative.
« En Allemagne, un tiers du temps de travail des soignants est consacré à la documentation », a-t-il indiqué. De nouveaux outils basés sur l’IA, tels que des applications de documentation à reconnaissance vocale, permettent déjà au personnel de dicter leurs notes directement dans leur téléphone, le système générant automatiquement les dossiers de santé numériques. Le temps ainsi libéré, insiste Frank Leyhausen, peut être réinvesti dans la relation de soin.
Il voit un potentiel similaire dans les capteurs de chute, les robots de service autonomes et les systèmes d’IA capables de surveiller l’activité nocturne ou les variations de température, permettant des interventions ciblées plutôt que des contrôles intrusifs et systématiques. Mais la mise en œuvre reste un défi : « Certaines personnes croient qu’il suffit d’acheter une technologie, de la poser là, et de profiter. Ce n’est pas le cas », a-t-il averti.
Frank Leyhausen a mis en avant deux solutions qui gagnent du terrain dans les pays germanophones :
- Voice, un outil de documentation assisté par IA qui vient de lever des financements internationaux importants et suscite un retour positif du personnel en Autriche.
- Un compagnon vocal de type Alexa, combiné à une technologie de détection radar : l’un des premiers outils approuvés pour un remboursement dans le cadre de l’assurance dépendance allemande.
Cependant, il a souligné que les décideurs politiques et les assureurs apprennent encore à évaluer ces outils numériques, ce qui ralentit leur adoption à grande échelle.
Interopérabilité et avenir du suivi de santé avec l’IA
Stela Shiroka a apporté un éclairage complémentaire sur l’Autriche, où prolifèrent aujourd’hui des systèmes numériques de documentation infirmière. Beaucoup intègrent désormais des composantes d’IA et une interopérabilité avec le dossier de santé électronique national, permettant une prise en charge plus coordonnée et continue entre les institutions.
En se projetant dans l’avenir, elle a évoqué l’essor de la médecine de précision et de la médecine personnalisée, ainsi que des applications de suivi de santé qui pourraient bientôt automatiser certaines tâches comme les mesures de tension artérielle. Cette tendance, selon elle, pourrait améliorer le bien-être des résidents tout en augmentant l’efficacité du personnel soignant.
Entre IA et humain : Vers un futur hybride
Un thème récurrent de la discussion fut la nécessité de ne pas remplacer le soin humain par la technologie, ni l’inverse. Frank Leyhausen a décrit l’émergence de modèles « en tandem », dans lesquels de jeunes soignants à l’aise avec le numérique collaborent avec des collègues plus expérimentés, porteurs d’un profond savoir-faire relationnel. Carlo Cavandoli a confirmé cette vision, affirmant que l’avenir exigera à la fois « la touche humaine et la touche technologique ».
Alors que les systèmes de soins européens font face aux défis démographiques, les trois intervenants s’accordent : les outils numériques peuvent réduire les pressions et accroître l’autonomie, mais seulement s’ils sont introduits avec soin, accompagnés de formation, de participation des utilisateurs et d’une attention réelle aux craintes et besoins des résidents actuels.
La résidence de demain, ont-ils conclu, ne devra pas seulement être plus efficace. Elle devra aussi être plus humaine, plus connectée et plus attentive à l’expérience vécue de celles et ceux qui y vivent.
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