[Replay] Vieillir : un coût ou une richesse ? L’exemple des Antilles

AUTRES ACTUS ET INFORMATIONS SUR : FAITS DE SOCIETE

Partager cet article

Lors du Festival SilverEco 2025, la table ronde intitulée « Vieillir : un coût ou une richesse ? l’exemple des Antilles » a réuni médecins, experts du logement, acteurs associatifs et spécialistes des politiques publiques pour interroger un discours trop souvent anxiogène autour du vieillissement. Tous ont plaidé pour une autre vision : celle d’un vieillissement porteur de richesses humaines, sociales et économiques. L’échange, animé par Alexandre Doubel (OVE Caraïbes), s’est appuyé sur la parole croisée du docteur François Sarkozy, de Florent Rouchy (Énéal), de Mickaelle Ovarbury (Les Ailes des Anges) et d’Alain Jeanville, expert des politiques du vieillissement.

antilles bien vieillir

Comprendre le vieillissement pour mieux agir

Le docteur François Sarkozy ouvre le débat en rappelant que « le vieillissement de la population est souvent présenté comme un défi, parfois comme un coût » . Il insiste sur la nécessité de changer de regard, d’autant que les connaissances scientifiques progressent.

Depuis les travaux récompensés par le prix Nobel 2009, « on sait que [le vieillissement] est un processus génétiquement programmé » associé au raccourcissement des télomères, entraînant l’apparition de cellules sénescentes et une baisse de l’énergie cellulaire . Mais cette pente n’est pas irréversible : « même à 50 ou 60 ans, si on modifie son mode de vie, […] on peut allonger son espérance de vie jusqu’à 15 ans » explique-t-il en référence à une étude américaine menée auprès de vétérans .

Pour le médecin, bien vieillir implique aussi un travail sur le bonheur : « on ne peut pas vivre longtemps et bien sans avoir des moments de bonheur. Et le bonheur, figurez-vous, ça s’apprend » .

Vieillir : un coût ou une richesse ? L’exemple des Antilles – Le Replay

Des logements conçus pour l’autonomie et le lien social

Florent Rouchy, directeur des territoires chez Énéal, rappelle que les bâtiments actuels sont souvent inadaptés : construits dans les années 1970–1980, à une époque où l’on préférait isoler les seniors « à l’extérieur des villes », ils répondent mal aux besoins d’aujourd’hui .

Énéal défend désormais une approche fondée sur la porosité avec le territoire :

  • des établissements ouverts sur la ville,
  • des passerelles entre habitat familial, logements intermédiaires et médico-social,
  • et des lieux favorisant les interactions sans les imposer.

Il illustre : « si pour passer de la rue à leur logement, [les résidents] voient, entendent et peuvent aller [vers les autres], on sait que ça va favoriser le lien social » .

L’habitat inclusif : réinventer la solidarité d’antan

Pour Mickaelle Ovarbury (Les Ailes des Anges, Martinique), la clé du bien-vieillir réside dans l’entourage. Son association développe des habitats inclusifs inspirés des « cours » traditionnelles martiniquaises, lieux centraux où se tissaient les solidarités quotidiennes.

Ces habitats réunissent :

  • présence 24h/24,
  • participation des voisins,
  • implication des commerçants, du CCAS et des associations,
  • interventions régulières de soins (ergothérapeute, kiné, infirmières libérales),
  • activités culturelles avec les habitants du quartier.

Résultat : des effets spectaculaires sur le moral et la santé. « Nous avons des gens qui arrivent déprimés, qui ne mangent plus, et vous les verrez deux mois après : ce n’est plus la même personne » confie-t-elle . Certains évoquent même le sentiment d’avoir « retrouvé [leur] famille » dans ces lieux pourtant non familiaux .

Les aidants y retrouvent également un souffle : relais baluchonnage, répit intégré, coordination médicale… « Les aidants physiques sont épuisés, à bout de souffle » rappelle Mickaelle Ovarbury, témoignant de situations menant jusqu’à l’hospitalisation psychiatrique pour burn-out .

Un vieillissement accéléré et spécifique aux Antilles

Alain Jeanville dresse un constat clair : si le vieillissement est mondial, aux Antilles il est exceptionnel par sa rapidité. La transition démographique, fulgurante depuis les années 1960, provoque une explosion du nombre de plus de 60 ans : « Ils seront supérieurs aux moins de 20 ans d’ici 2040–2050 » .

Deux facteurs aggravent la situation :

  • un taux de fécondité en baisse, désormais proche de celui de l’Hexagone ;
  • l’exode massif de 3 500 jeunes par an qui ne reviennent pas, bouleversant les solidarités intergénérationnelles traditionnelles .

Dans un territoire où l’habitat individuel domine et où beaucoup d’aînés vivent seuls, l’enjeu devient celui de l’adaptation des logements et des services. « Chez nous, nous sommes déjà au domicile. Mais une fois qu’on a dit ça : quel domicile ? » questionne-t-il .

Lutter contre l’isolement, poison silencieux

Les intervenants convergent sur un point : l’isolement est un facteur majeur de perte d’autonomie.

Dr Sarkozy évoque une étude de la Harvard Medical School menée sur 80 ans : les personnes ayant des relations sociales riches sont celles qui vieillissent le mieux. « L’isolement est un poison du vieillissement. C’est aussi important que l’exercice physique » insiste-t-il.

Cet enjeu se répercute jusque dans l’aménagement urbain : suppression de bancs, mobilités rapides, peur de la chute, villes non inclusives… Autant d’obstacles qui enferment les personnes chez elles.

Vers une société bienveillante

Au fil des échanges se dessine un modèle plus large : celui d’une société qui reconnaît le rôle et la valeur des aînés.

« Si on ne respecte pas les anciens, on se perd soi-même » affirme le Dr Sarkozy, rappelant leur contribution économique, culturelle et symbolique.

Mickaelle Ovarbury résume sa vision : « Bien vieillir, c’est continuer à transmettre, à aimer et à inspirer ».

Pour Florent Rouchy, il s’agit de préparer toute une trajectoire de vie : « On change rien et ça change tout », explique-t-il, invitant à intégrer très tôt les enjeux d’autonomie, d’environnement et de solidarité.

L’urgence d’un changement de paradigme

La table ronde l’a démontré : vieillir n’est pas un fardeau. C’est un défi collectif, mais surtout une richesse si l’on sait :

  • adapter le cadre de vie
  • soutenir les aidants
  • reconstruire les solidarités locales
  • repenser l’urbanisme
  • lutter contre l’isolement
  • et valoriser la place des « grandes personnes », selon l’expression martiniquaise

Le vieillissement peut être une force (humaine, économique et sociale) si la société accepte de changer de regard et d’investir dans le bien-vieillir.


Partager cet article

Cet article a été publié par la Rédaction le

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *