Dans cette ville industrielle de au 250 000 habitants au centre de l’Angleterre, l’avenir des plus vulnérables se joue désormais devant une machine. Le conseil municipal de Derby a lancé un programme inédit : confier à une intelligence artificielle le soin d’examiner les dossiers des personnes âgées afin de proposer des recommandations sur le type d’accompagnement à leur attribuer.

- Derby innove : la ville britannique confie à une IA l’évaluation des besoins des personnes âgées, du maintien à domicile aux placements en maison de retraite.
- Un choix budgétaire : avec 4 M£ de déficit, la municipalité espère économiser 6 M£ par an grâce à ce système développé par ICS.AI.
- L’IA “Darcie” déjà testée : après un agent vocal municipal en 2023, Derby poursuit son virage numérique malgré des résultats mitigés.
- Des inquiétudes fortes : associations comme Age UK et Silver Voices dénoncent un risque d’expérimentation sur les plus vulnérables.
- Un test national : Derby devient un laboratoire social pour l’IA appliquée aux services publics, entre espoirs d’efficacité et craintes éthiques.
Placements en maison de retraite, maintien à domicile avec aides renforcées, logements spécifiques, attribution des allocations ou même délivrance d’une carte de stationnement pour personnes handicapées : les décisions qui relevaient jusqu’ici exclusivement des travailleurs sociaux passent désormais par un algorithme, conçu pour “suggérer” la solution la plus adaptée.
L’intelligence artificielle comme réponse à la crise budgétaire
Le Derby City Council, confronté à un déficit budgétaire estimé à 4 millions de livres cette année et à des services sociaux jugés insuffisants par l’autorité nationale de contrôle (Care Quality Commission), a choisi cette voie comme réponse à un double défi : la hausse des besoins et la baisse des moyens humains.
Un contrat de 7 millions de livres (8 millions d’euros) a été signé avec la société technologique britannique ICS.AI. L’objectif est clair : alléger les coûts, avec l’espoir d’économiser 6 millions de livres par an rien que dans le secteur de l’aide sociale aux adultes. « Nous avions des arriérés considérables et une demande croissante. Embaucher davantage de personnel n’était pas possible. L’IA nous est apparue comme une autre façon de faire face« a justifié Andy Appleyard, directeur des services sociaux pour adultes à Derby.

Selon les documents obtenus par The Telegraph via des demandes d’accès à l’information, le logiciel est entraîné sur les bases de données existantes pour formuler des recommandations automatiques. La municipalité insiste : la décision finale reste entre les mains des travailleurs sociaux. Mais la question demeure : dans quelle mesure ceux-ci oseront-ils contredire un outil présenté comme incontournable et surtout, financé à prix fort ?
Darcie, l’intelligence artificielle de la mairie
Derby n’en est pas à sa première expérience avec l’intelligence artificielle. En 2023, elle avait été la première ville britannique à mettre en place un agent vocal génératif baptisé Darcie. Cet assistant téléphonique est chargé de répondre aux appels des habitants pour des questions courantes : collecte des déchets, impôts locaux, services municipaux… Mais les évaluations sont mitigées : une fois sur deux, Darcie échoue à comprendre ses interlocuteurs, notamment à cause de l’accent local ou de l’usage de termes familiers qu’elle ne comprend pas.
Malgré ces limites, d’autres municipalités britanniques observent de près l’expérience de Derby et envisagent des projets similaires, convaincues par la promesse d’économies rapides.

De vives inquiétudes et un appel à la prudence
Si les élus municipaux mettent en avant l’efficacité et la rationalisation des coûts, les organisations de défense des personnes âgées appellent à la prudence : « Nous allons trop vite avec l’IA, et les personnes âgées ou vulnérables servent de terrain d’expérimentation, sans véritable garde-fou« , alerte Dennis Reed, directeur du groupe de campagne Silver Voices.
Même son de cloche chez Age UK, la principale association britannique dédiée aux seniors. Sa directrice, Caroline Abrahams, reconnaît que l’intelligence artificielle pourrait, à terme, constituer une aide précieuse. Mais elle prévient :

Les personnes en besoin de soins sont, par définition, vulnérables. Il faut s’assurer que leurs intérêts soient toujours la première considération, et que les risques liés à ces technologies soient correctement gérés.
Caroline Abrahams, Directrice de Age UK
Intelligence artificielle : Un laboratoire social scruté de près
Avec ce projet, Derby devient un terrain d’expérimentation nationale sur l’usage de l’IA dans les services publics. ICS.AI, le fournisseur de la solution, promet jusqu’à 5 millions de livres d’économies annuelles pour les collectivités qui franchiraient le pas.
Pour Derby, il s’agit d’un pari risqué mais jugé incontournable en vue du vieillissement de la population. La question demeure néanmoins entière : l’IA deviendra-t-elle un appui pour les professionnels du social ou, insidieusement, un substitut qui reconfigure la relation entre les plus fragiles et les institutions censées les protéger ?
Cet article a été publié par la Rédaction le



