La cohabitation intergénérationnelle se digitalise, le point avec Mélanie Slufcik – fondatrice de Colibree Intergénération

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La cohabitation intergénérationnelle se présente comme une solution « gagnant-gagnant » pour les retraités comme pour les étudiants. Compléments de revenu, économies sur le loyer et lutte contre la solitude, ce mode d’habitation séduit de plus en plus. Cependant il est également très encadré juridiquement. Mélanie Slufcik, fondatrice de Colibree Intergénération s’est entretenue avec la rédaction de SilverEco.fr. L’occasion d’en savoir plus sur cette société mais également de faire le point sur ce qu’il faut savoir à propos de la colocation ou cohabitation intergénérationnelle. 

Mélanie est partie d’un constat personnel établi sur la cible étudiante mais également senior : le logement partagé représente une réelle opportunité de reconnecter les générations. En effet, en créant des « matchs » basés sur les affinités, les habitudes de vie et les attentes personnelles, Colibree Intergénération propose de mettre en relation des profils compatibles afin de partager son logement. L’entreprise qui valorise la compatibilité entre l’humain et le digital est présente sur toute la France, de façon en garder le lien malgré la mobilité étudiante et de ne pas laisser de territoires isolés. 

Quel intérêt pour les seniors de faire une colocation intergénérationnelle ? 

Mélanie Slufcik : Il y a plusieurs profils donc plusieurs intérêts. Mais globalement, c’est soit pour des raisons économiques soit pour contrer la solitude. Après, pour les présenter grossièrement il y a le jeune retraité qui vient de perdre des revenus en passant à la retraite et qui a des chambres disponibles, il voit l’intérêt financier et après le lien social. Ensuite, à l’inverse, il y a des retraités qui viennent nous solliciter car ils sont seuls et qui veulent augmenter par la même occasion leur pouvoir d’achat mensuel. Finalement, les deux sont liés.

Cependant, il existe aussi un troisième « profil type » de retraités qui ne le font pas du tout pour l’argent et qui vont proposer des chambres à 50 euros par mois juste pour la compensation des charges d’eau et d’électricité utilisées par l’étudiant. Ils ne veulent pas s’enrichir. Ils recherchent uniquement du lien social

Ces profils-là sont peut-être plus fragiles ?

Exactement mais nos étudiants aussi sont parfois dans le même cas. 

Aujourd’hui, nous avançons avec deux populations qui sont fragilisées socialement et financièrement. Et c’est justement pour ça que nos contrats sont rédigés avec un avocat. En effet, jeunes ou plus âgées, les différentes parties ont besoin d’un contrat clair et bien ficelé pour que tout le monde soit gagnant-gagnant. Pour nous, c’est primordial que nos étudiants et nos retraités soient égaux, au niveau du contrat.

Pourquoi avoir ciblé le secteur de la colocation intergénérationnelle ? 

Lorsque l’on est étudiant, c’est difficile de trouver un logement de qualité au budget raisonnable pour bien vivre au quotidien et ne pas être seul. Et au niveau des retraités, c’est aussi compliqué de pouvoir rester le plus longtemps possible chez soi.

En effet, même si une personne âgée est autonome, elle peut être confrontée à : une maison trop grande pour l’entretenir seule, un manque de sécurité, des problèmes financiers, un sentiment d’isolement profond. Une fois que ces problématiques et ces constats ont été mis bout à bout, j’ai identifié que le concept de cohabitation intergénérationnelle était une solution facilement accessible et adaptable sur tout le territoire français. 

Liens intergénérationnels - Colocation - Services à la personne

Comment vous-êtes vous emparés de ce phénomène de logement déjà existant ? 

C’est vrai que ce concept existait déjà mais il était principalement promu par des associations. Mais, personnellement, je trouve que ce modèle-là n’a pas encore trouvé une juste place dans la société. Car si l’on creuse un peu et qu’on laisse tomber les préjugés, il pourrait être aussi compétent et cohérent que la colocation ou le co-living standard.

Alors, je me suis interrogée sur les freins qui empêchaient ce beau concept, qui mêle solution financière et vie sociale, de s’imposer sur le marché. J’ai rapidement compris qu’il était peu, ou mal, mis en avant, qu’il dégageait l’image de quelque chose de dépassé, pas très sexy… Et l’une des raisons à tout cela c’est que la colocation intergénérationnelle n’était pas encore entrée dans l’ère du digital ! J’ai donc pris l’initiative de m’emparer de ce concept et de le mettre au cœur du digital.

Mettre la cohabitation intergénérationnelle « au cœur du digital », qu’est-ce que ça signifie concrètement ? 

La démarche avec Colibree Intergénération est de proposer un site internet qui donne réellement de l’information. Un espace virtuel où l’on peut trouver du contenu et savoir précisément quel est le concept et les services que nous proposons. « Est ce que cela peut m’intéresser? Quels sont les bienfaits et à qui ça s’adresse? … ». 

C’est pouvoir délivrer un accompagnement de qualité au travers du digital rendu possible grâce à notre matching. On connaît nos utilisateurs donc on est capable de leur proposer une solution sur mesure et personnalisée.

Pourquoi cibler uniquement les étudiants et les retraités ?

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Finalement, c’est un marché qui est très vaste et chez Colibree Intergénération on voulait réduire la cible de façon à être dans une construction de relations, mais également des contrats, et un accompagnement optimal. C’est pourquoi nos services sont réservés aux étudiants de moins de 30 ans et aux retraités de plus de 60 ans. 

Cependant, pendant la crise sanitaire, pour participer à l’effort solidaire dont les Français et les entreprises ont fait preuve, nous avons ouvert notre champ d’action aux profils instaurés par la loi ELAN, c’est-à-dire au moins jeunes de moins de 30 (étudiants ou actifs) et aux seniors de plus de 60 ans (retraités ou actifs). 

Que dit la loi ELAN à propos de la cohabitation intergénérationnelle ? 

La cohabitation intergénérationnelle est encadrée par la loi ELAN de novembre 2018 et un article supplémentaire, de janvier 2020, est venu définir concrètement ce qui doit être présent dans la charte ou le contrat de cohabitation intergénérationnelle. Par exemple, le fait qu’elle ne soit pas éligible au bail locatif classique

C’est une charte à part où sont définies clairement les identités des deux parties : une personne qui a moins de 30 ans et une personne qui a plus de 60 ans et qui est autonome. Au niveau du bien immobilier, il faut qu’il y ait une chambre privative de plus de 9 m2, définir un usage collectif de certaines pièces et ainsi fixer l’aspect financier de l’opération 

Et vous concernant, comment s’applique cette loi ?

Dans le cadre d’une cohabitation intergénérationnelle et solidaire, le revenu du retraité qui accueille doit être modeste ! Il est également extrêmement important d’être vigilant quand le locataire est chez un bailleur social. Si le retraité est sous contrat chez un bailleur social, il n’a pas le droit de louer son appartement plus cher que le prix au m2 que lui-même paie. Par exemple, une personne âgée habite dans un 100 m2 et paie 500 euros de loyer par mois, elle met à disposition 10 m2 privatif (la chambre) et l’usage de la cuisine, SAM … soit 30m2 commun (soit 15m2 à retenir pour le calcul du loyer). Elle ne pourra pas louer sa chambre plus de 125 euros.

Au-delà de ce montant, on ne rentre plus dans le cadre de revenus modestes, donc plus dans le cadre de la loi. 

Patrimoine - Viager - Argent - Immobilier

Comment les prix sont-ils établis ?

Pour qu’il y ait un intérêt fiscal pour le retraité, il ne faut pas dépasser certains plafonds. En France, il y en a 2 : celui de Paris et celui de la province. Pour Paris, le plafond est à 175 euros par m2, par an. Et pour la province, il est de 140 par m2 par an. Si la personne qui héberge dépasse ce plafond, ça signifie que les revenus qu’elle va récupérer sur l’opération vont être imposés au titre de l’imposition sur le revenu. Chez Colibree, nous sommes très vigilants sur cette question.

Enfin, il faut définir les attendus entre les deux partis. Par exemple, chez Colibree Intergénération, on demande obligatoirement: quel est le temps minimum accordé ? quels sont les services souhaités ? quelle est la réciprocité voulue… ? Si les personnes ne sont pas d’accord sur ces points, ça ne matchera jamais au quotidien.

Dans ce cas, qui se charge des calculs et de vérifier ?

Normalement, ce sont les personnes qui hébergent, les impôts et les bailleurs sociaux. Pour les retraités qui sont chez des bailleurs sociaux et qui viennent nous voir, c’est nous qui faisons les calculs. Nous ne signerons pas le contrat si la personne demande plus que le montant que j’ai défini.

Notre travail, en tant que professionnel, c’est aussi d’informer sur ces sujets et de faire comprendre que si le cadre n’est pas respecté, la personne ne sera pas éligible au contrat de colocation intergénérationnelle et solidaire. 

De plus, tant que les plafonds sont respectés et que les revenus sont modestes, l’article 38 bis du code général des impôts précise que les revenus ne sont pas imposables. C’est quand même très intéressant ! 

Comment les « matchs » des futurs colocataires sont-ils créés ?

Pour commencer, on souhaite vraiment présenter un étudiant et un retraité qui ont les mêmes envies, les mêmes passions, les mêmes intérêts, le même goût pour la cuisine, pour la musique, qui ont envie de vivre une expérience intergénérationnelle sur le même point. C’est extrêmement important. 

Aujourd’hui, on n’a pas tous les mêmes besoins et les mêmes envies. Il y en a qui ont envie de simplement partager un toit pour avoir une présence rassurante et bienveillante. Il y en a d’autres qui ont besoin de cette expérience pour arrondir leurs fins de mois…. Tout est automatisé, sécurisé avec un respect fort de la confidentialité. 

selfie-intergénérationnel

Tous les inscrits trouvent leur « match » de cohabitation ? 

On ne s’engage pas à trouver des matchs parfaits à tout le monde. Il y a des profils qui se sont inscrits en 2019 et qui n’ont personne, car nous n’avons pas de personnes correspondantes à leur proposer. Effectivement, ce n’est pas parce qu’on a un étudiant et un senior à Orléans qu’on va les faire obligatoirement se rencontrer. On ne va pas privilégier la quantité à la qualité. 

Une fois qu’un match est fait en se basant sur la vie quotidienne, la musique, la cuisine… etc. on envoie les coordonnés aux deux parties qui sont libres de se contacter. Nous intervenons uniquement pour la mise en relation qualifiée mais pour le reste c’est à eux d’établir le premier contact et de faire connaissance. 

Un retraité peut avoir plusieurs colocataires ?

Il peut accueillir autant d’étudiants que de chambres disponibles. Le tout est de respecter le prix au m2. En fonction de sa situation, propriétaire ou locataire, il a le droit d’accueillir plusieurs personnes chez lui.

Il n’y a pas une appréhension de la jeunesse du point de vue des seniors ?

Non puisque c’est là tout l’intérêt de notre matching, qui est aujourd’hui notre valeur ajoutée. Quand l’étudiant remplit le profil, on voit très vite quand ils mentent, leur manière de parler, de communiquer… Donc on requalifie avec eux le profil dès que l’on a une interrogation. 

De plus, c’est aussi notre suivi dans le temps qui permet de lever ce frein-la. On n’est pas là pour créer des relations difficiles. Lorsque malheureusement il y a le développement d’une addiction, un jeune qui fait trop la fête, qui fait venir ses amis alors que ce n’était pas prévu, on a un rôle de médiateur à jouer en rappelant les termes du contrat. 

En parlant de contrat, quel statut avez-vous? Comment ça se passe ?

Colibree Intergénération est une entreprise de l’économie sociale et solidaire à mission, donc qui agit dans l’intérêt général des utilisateurs. Il n’y a pas de frais d’adhésion. Lorsque l’on signe un contrat, c’est seulement à ce moment-là qu’il y a la première dimension d’argent entre nos utilisateurs et nous. Après signature, les deux parties vont payer une commission de 15 euros au contrat.

Tous les mois, l’étudiant verse une contrepartie financière pour le logement et les charges au retraité qui l’héberge. Sur ce montant-là, il nous verse 20% de commission mensuelle avec un minimum de 40 euros. Les 40 euros représentent le prix de l’assurance habitation étudiante obligatoire, développée avec notre partenaire, pour rassurer nos utilisateurs et notre rémunération. On est également en train de développer des packs « assurance optionnelle » qui incluent l’assurance juridique, l’assurance loyer impayé…

Les étudiants sont-ils éligible aux APL ?

Oui tout à fait ! C’est pour qu’ils puissent en bénéficier que l’on fait un contrat dans lequel on décrit les parties privatives et communes utilisées par l’étudiant et qu’on distingue les charges courantes et notre commission. Ensuite, le contrat est remis à la CAF qui peut calculer les aides.

Combien comptez-vous de binômes formés ? 

Aujourd’hui, sur le papier, on a plus d’une trentaine de binômes qui ont été formés. Un peu moins de 60 propositions sont en cours d’accompagnement. Le Covid a souligné cette peur de la solitude et cette volonté de ne plus être seul

D’un seul coup, les gens sont venus à notre rencontre en nous disant : « J’ai entendu parler de la cohabitation intergénérationnelle. Est ce que vous pouvez nous accompagner parce que je ne veux plus souffrir de solitude? » On est passé à une étape supérieure dans le sentiment et dans le ressenti. C’est n’est plus de l’appréhension, c’est de la souffrance. Et ce constat-là touche autant les seniors que les étudiants.

Pour vous, le Covid a été un révélateur de la solitude vécue par ces générations ? 

Il y a 18 mois les gens disaient « oui je suis seul au quotidien c’est pénible, c’est agaçant » mais aujourd’hui la première phrase que me dise certaines personnes qui appellent c’est « je ne veux surtout plus être seul.e, je souffre de cette solitude, pour moi c’est inconcevable d’être à la retraite et être autant seul au monde« . 

On parle beaucoup de fracture du numérique et de l’âgisme mais il y a aussi une fracture quand on arrive à la retraite car on perd tous ses repères. Le « métro boulot dodo » n’existe plus. Il faut refaire ses habitudes et son rapport au lien social. Quand on accueille un jeune chez soi, on va s’habiller, on va s’occuper de soi, de la maison, s’entretenir mentalement et physiquement. Nous sommes un acteur qui prône le bien-vieillir ensemble et permet le maintien de l’autonomie. Nous ne sommes pas une solution médicale mais on a un rôle à jouer dans l’entretien de l’autonomie de nos retraités aujourd’hui.

Isolement - Aide à la personne - Services à la personne - Lutte contre la solitude - Une

Et vous en tant qu’entrepreneuse dans un secteur qui demande de la mise en relation, du lien social, comment avez-vous appréhendé cette crise sanitaire ? 

En fait, quand le gouvernement a annoncé le premier confinement, je n’étais pas sereine. J’ai contacté des gens de la silver économie pour avoir cette prise de hauteur face à mon activité puisque ça faisait six mois qu’on était lancés. On est en plein lancement, en pleine commercialisation et du coup, vous prenez ça du jour au lendemain sur le coin du nez. C’est quelque chose qui n’est pas prévu.

Et donc on se dit « mince, qu’est ce qu’on fait ? Est-ce qu’on continue ? Et dans ce cas-là, on va à l’encontre des décisions gouvernementales puisqu’on rapproche des jeunes et des moins jeunes. Est-ce qu’on arrête ? Qu’est-ce qu’on fait clairement ? ».

Au premier confinement on a arrêté complètement les mises en relation, par contre on a accéléré notre communication c’est-à-dire qu’on a mis des mots sur le concept et on a été challengé le concept dans le digital. 

Quels sont les freins qui persistent et les axes de développement envisagés ? 

Les freins sont visibles : c’est aller à la rencontre de nos utilisateurs seniors. Le digital est un très bon outil pour les jeunes parce qu’ils sont ultra connectés. Les seniors le sont un peu moins et ont moins d’aisance. Mais ce sont des freins en 2020 car dans 10/15 ans, il  ne seront pas les mêmes. En effet les futurs retraités, ce sont nos parents, nous, nos enfants… et l’on partage notre quotidien avec le digital. Le frein du numérique va donc naturellement diminuer. 

C’est pourquoi on axe notre stratégie de développement commerciale, non pas uniquement sur une cible b2c, mais aussi sur le secteur b2b. On s’est rendu compte que pour aller à la rencontre de ces potentiels utilisateurs, il est pertinent et intéressant de passer par une entreprise qui travaille déjà à leur côté. Chez Colibree Intergénération, notre identité est de ne pas être seule sur le marché, de travailler en synergie avec des entreprises de tailles et de marchés différents qui ont en tant que client ou collaborateur, des cohab’s potentiels. Oui chez COLIBREE Intergeneration on parle de Cohab’s et non de coloc ou colocataire. 


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Cet article a été publié par la Rédaction le

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