Tribune : La Silver économie : une opportunité et une nécessité

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Dans l’ouvrage « La révolution silencieuse des seniors », rédigé par le Cercle Turgot, Pierre Bentata, Professeur d’économie à l’ESC Troyes et directeur de Rinzen Conseil, consacre un chapitre entier à « La Silver économie : une opportunité et une nécessité ».

La rédaction SilverEco.fr vous propose de redécouvrir ce chapitre consacré à l’économie du vieillissement.

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« La Silver économie : une opportunité et une nécessité »

Un contexte économique incertain

Livre La révolution silencieuse des seniors
Chapitre issu de l’ouvrage « La révolution silencieuse des seniors »

Face à une situation économique pleine d’incertitudes, les entrepreneurs français semblent réticents à se lancer dans des projets d’envergure. Et l’on peut aisément les comprendre tant les menaces sont nombreuses. La dette publique pèse sur la rentabilité du secteur privé. La France emprunte chaque année près de 180 milliards € pour financer un déficit structurel de l’ordre de 70 milliards et rembourser les emprunts arrivés à échéance.

Conséquence évidente, le coût de la dette est voué à croître, ce qui contraindra bientôt les gouvernements, de droite comme de gauche, à augmenter les taxes ou à réduire les dépenses. Or, dans une économie où les dépenses publiques représentent plus de la moitié du PIB et où le fardeau fiscal est déjà parmi les plus élevés de la planète, une hausse des premières ou une réduction des secondes sera synonyme de ralentissement de l’activité. Les entrepreneurs sont donc dans l’expectative.

À cela s’ajoute le fort taux de chômage qui, combiné à des salaires rigides, réduit d’autant les perspectives d’une hausse de la consommation. On pourrait aussi évoquer la complexité administrative concernant la création d’entreprise – comme le confirme chaque année le classement de la Banque mondiale –, la concurrence internationale accrue, l’absence d’écosystème consacré à la production et la diffusion des nouvelles technologies, ou encore la relative réticence d’une partie de la population à accepter les mutations technologiques qui bouleversent l’organisation d’un nombre croissant de secteurs économiques.

Au niveau international, la situation n’est guère meilleure

L’élection de Donald Trump confirme un relatif repli des États-Unis, déjà prévu par de nombreux experts. Sur le plan économique, cela pourrait avoir plusieurs conséquences. Tout d’abord, la quête d’indépendance énergétique a pris un nouveau tournant avec le fort développement des gaz et pétrole de schiste, facilitant un recentrage de la chaîne de production américaine sur son territoire national tout en offrant à l’économie américaine l’opportunité d’une baisse des coûts de production à moyen terme.

International - MondeAinsi, les États-Unis auront bientôt les moyens de se concentrer davantage sur leur propre territoire, changeant l’équilibre de l’économie internationale. Cette nouvelle donne s’accompagne d’une volonté politique de protéger l’industrie américaine et, si pour le moment la situation demeure incertaine, l’émergence de nouvelles barrières tarifaires et non tarifaires n’est pas à exclure.

Dans ce contexte, l’économie européenne, et française, devra trouver de nouveaux relais de croissance. Et elle ne pourra se tourner vers les pays d’Asie qui, pour des raisons démographiques, devront eux aussi se concentrer sur leurs territoires. En effet, le vieillissement de la population touche les pays d’Asie, particulièrement la Chine et la Corée du Sud, et implique de développer des programmes de retraites jusqu’ici presque inexistants.

Ces pays vont devoir recourir à leur épargne pour financer le vieillissement de leur population, ce qui réduira d’autant les financements à destination de l’Europe. De plus, l’émergence d’une classe moyenne en Chine représente un nouveau marché potentiellement très rentable, ce qui signifie que la Chine aura tout intérêt à se concentrer sur sa croissance intérieure, réduisant d’autant sa participation et ses exportations vers les pays européens.

Face à ces mutations prévisibles, la France doit compter sur ses propres moyens pour assurer dès aujourd’hui sa croissance future. Et la « Silver économie » a le potentiel pour en être l’un des principaux leviers.

La Silver économie comme levier de croissance

Aidant - Personnes âgées - SeniorsSous la dénomination de « Silver économie » se regroupe l’ensemble des activités dédiées à l’avancée en âge de la population.

Il ne s’agit donc pas d’un marché clos et aux frontières clairement dessinées, mais d’une économie transversale qui prend sa source dans de nombreux secteurs. En effet, les attentes spécifiques des nouveaux seniors impactent aussi bien l’accompagnement des personnes, la prévention de la dépendance et l’ensemble des services de soins que la demande de loisirs, la robotique, la domotique et les TIC (technologies de l’information et de la communication) et même le bâtiment ou encore la nutrition.

Dans tous ces secteurs, l’évolution démographique nécessite d’adapter l’offre en prenant en considération les contraintes du vieillissement mais aussi les caractéristiques de cette nouvelle catégorie de seniors. L’arrivée des baby-boomers à l’âge de la retraite transforme radicalement l’économie des seniors. Ces derniers perçoivent la retraite comme un nouveau départ, plein d’opportunités, et attendent une qualité de vie identique, voire supérieure, à celle qu’ils ont connue jusqu’à présent. Or, dans le même temps, ces seniors ont un véritable pouvoir économique.

En France, plus de 15 millions de personnes sont âgées de plus de 60 ans et elles devraient être 20 millions en 2030. Au-delà même de leur poids démographique, elles constituent un segment de marché primordial. Avec un revenu disponible de 424 milliards € en 2010, les plus de 50 ans représentent plus de 50 % des dépenses d’alimentation, d’équipement, de loisirs – voyages et sport notamment – et près de 60 % des dépenses de santé. Et l’évolution démographique devrait accroître encore la part des seniors dans la consommation jusque dans les années 2050.

La Silver économie a directement permis de créer 160 000 emplois

Au cours des dernières années, la Silver économie a directement permis de créer 160 000 emplois et plusieurs études prévoient qu’elle entraînera la création de 300 000 emplois supplémentaires dans les cinq prochaines années. Il s’agit là de prévisions se fondant uniquement sur le vieillissement de la population qui engendrera une hausse de 150 % de la taille du marché des seniors, représentant 2,4 % du PIB à horizon 2040.

Ces seuls chiffres suffisent à démontrer l’opportunité que représente l’économie des seniors pour la croissance. À cet égard, il a d’ailleurs été démontré que dans les pays développés les seniors avaient un impact prépondérant et positif sur la croissance nationale. Cet impact, bien que surprenant au premier abord, s’explique par le comportement d’épargne de la population.

Afin de se préparer à une baisse de leurs revenus au moment de leur retraite, les personnes vivant dans les pays développés ont tendance à augmenter fortement leur niveau d’épargne à l’approche des 50 ans, ce qui accroît les capacités d’investissement des entreprises sur le territoire national et in fine améliore la productivité et facilite l’innovation. Ce phénomène, pourtant fondamental, est souvent ignoré ou sous-estimé lorsqu’il s’agit
d’évaluer l’impact de la Silver économie.

La Silver économie et l’innovation

Innovation seniors - idéeLa convergence des NBIC – nanotechnologie, biotechnologie, informatique et sciences cognitives – marque l’avènement d’une révolution industrielle de grande ampleur dont on peut déjà entrevoir les premiers effets. La création d’algorithmes capables de mettre en relation, en temps réel, des milliers de personnes et de sécuriser leurs transactions a permis l’émergence de l’économie collaborative.

Les nanotechnologies ont déjà provoqué un véritable boom économique dans plusieurs secteurs. Bien que passé inaperçu, leur impact est pourtant très important. En effet, les nanotechnologies sont à la base d’un grand nombre de nouveaux produits : tissus antitaches, écrans d’ordinateurs, capteurs d’airbag, et bientôt dépollution des eaux, ou panneaux solaires plus performants.

Combinées aux développements de la biotechnologie, elles permettent déjà, bien que cela demeure au stade expérimental, de détruire des cellules cancéreuses et à terme de soigner les cancers sans recourir aux thérapies lourdes d’aujourd’hui. De même, la convergence de l’informatique et de la biotechnologie ouvre déjà la voie à la thérapie génique qui permettra de remplacer ou de reprogrammer les gènes défectueux. Les mêmes progrès sont à attendre du côté de la production énergétique, par l’amélioration des performances du photovoltaïque – grâce au nano-carbone – ou encore de l’énergie éolienne.

Au-delà de ces quelques exemples, en apparence futuristes, ces nouvelles technologies vont impacter et impactent déjà l’ensemble des secteurs économiques par la robotisation de nombreux procédés, l’émergence de machines « intelligentes » et leur plus grande connectivité. L’Internet des objets permet par exemple de connecter l’ensemble des appareils d’une maison, révolutionnant ainsi le secteur de la domotique. Il renforce ainsi l’indépendance des personnes en assurant un contrôle du foyer en toute autonomie. De même, il facilite l’assistance et la prévention médicale. En effet, il est aujourd’hui possible d’installer dans une habitation des capteurs mesurant différents signaux vitaux et établissant un diagnostic envoyé, via Internet, à un médecin ou un hôpital.

D’ici une dizaine d’années, chaque foyer pourrait être équipé de capteurs plus performants pour contrôler l’état de certaines protéines – notamment la protéine p-53 dont la mutation est responsable de la moitié des cancers – et effectuerait des IRM quotidiens.

L’habitat sera aussi transformé par le développement d’écrans muraux connectés, qui faciliteront l’usage des appareils ménagers et permettront de visualiser d’autres personnes en taille réelle, changeant les modalités de communication entre les personnes. Il s’agit là d’une avancée particulièrement prometteuse pour les personnes à faible mobilité ou dans une situation de profonde solitude.

Dans un autre registre, la réalité virtuelle offre des promesses similaires. Des lentilles connectées, actuellement à l’état de prototypes, permettront bientôt d’enregistrer des visages et d’informer le porteur de l’identité de ses interlocuteurs ou encore de localiser des objets, eux-mêmes connectés. À terme, ces lentilles devraient se démocratiser et offrir tous les services fournis aujourd’hui par nos ordinateurs et smartphones. Mais il est clair que, dans un premier temps, celles-ci serviront surtout aux personnes ayant des troubles de la mémoire.

Comme les développements des robots intelligents, l’ensemble des innovations précédemment citées ciblent d’abord et avant tout les personnes éprouvant des difficultés et dépendant aujourd’hui d’un tiers pour assurer leurs activités quotidiennes.

Mais il est évident que leur développement débordera rapidement cette première fonction pour faciliter la vie de l’ensemble de la population. Dans ce contexte de révolution technologique, la Silver économie représente une double opportunité, économique et financière. Le passage d’une invention – technique ou scientifique – à une innovation – sa commercialisation sous forme de bien ou de service – est toujours une étape risquée. Plus l’innovation bouleverse les habitudes des consommateurs, plus il est nécessaire de cibler un groupe de consommateurs à même d’en bénéficier et capables d’en supporter les coûts.

Avant de se démocratiser, l’innovation est nécessairement coûteuse car elle a engendré d’importants coûts de développement et plus elle est disruptive plus une partie de la population sera réticente à l’acquérir car cela implique un investissement en temps pour s’y habituer avant d’en profiter. Comme expliqué précédemment, les innovations à venir vont radicalement transformer les modes de communication mais aussi le rapport à l’habitat, à la santé et à la machine. Aussi, il est raisonnable de nourrir des inquiétudes vis-à-vis de ces évolutions bien que ces dernières offrent l’opportunité de considérablement améliorer la qualité de vie de tous.

Dans le même temps, le vieillissement démographique provoque une augmentation des dépenses publiques liées à la dépendance et aux traitements médicaux tout en laissant apparaître une nouvelle précarité sociale et relationnelle des personnes âgées. En conséquence, les seniors doivent être considérés comme le cœur de cible de ces nouvelles technologies.

Coeur de cible des innovations technologiques

La diffusion des innovations par l’intermédiaire de la Silver économie a trois avantages économiques. Tout d’abord, le vieillissement représente, il est vrai, un coût pour la société lorsqu’il est considéré uniquement sous l’angle des dépenses publiques de retraites et de santé. Et ces dépenses sont destinées à croître dans les années à venir.

Innovation technologique - Recherche et développementDe ce point de vue, les innovations médicales favorisant la médecine ambulatoire – par le recours à une médecine non invasive ou moins lourde – tout comme les innovations facilitant l’indépendance des personnes âgées et la surveillance de leur état de santé représentent des économies non négligeables pour la société. En d’autres termes, un développement des nouvelles technologies ciblé en premier lieu sur les seniors pourrait améliorer leur qualité de vie, leur santé et leur autonomie, réduisant d’autant les dépenses publiques qui leur sont destinées.

Par ailleurs, la Silver économie constitue une porte d’entrée idéale pour l’introduction de ces nouvelles technologies. En effet, la demande pour des équipements facilitant l’indépendance et l’autonomie existe déjà, tout comme la demande pour des produits améliorant l’état de santé et la qualité de vie en général. À cet égard, la voiture autonome et l’internet des objets s’intègrent totalement dans la Silver économie.

De plus, la nature dynamique et évolutive des innovations implique une amélioration permanente des services fournis, ce qui signifie que les entreprises innovantes sont toujours en phase de tests. Or, parce qu’ils sont en même temps les principaux bénéficiaires des innovations et les premiers à avoir adopté un mode de consommation hédoniste, les baby-boomers devenus papy-boomers sont habitués à tester de nouveaux produits et se montrent dans le même temps plus conciliants vis-à-vis des imperfections qui les accompagnent.

Enfin, le revenu moyen des seniors est plus élevé que celui du reste de la population. Pour cette raison, les seniors sont une cible à privilégier car ils ont les capacités financières d’acquérir des produits innovants dès leur commercialisation, c’est-à-dire au moment où ils coûtent le plus cher. Ainsi, les seniors, pris comme consommateurs de la Silver économie, représentent un groupe ayant des préférences fortes pour les produits innovants et les moyens de les acquérir, ce qui en fait un groupe idéal pour l’introduction de nouvelles technologies.

Financement des innovations

Au-delà de l’opportunité économique, la Silver économie constitue une opportunité financière dans le contexte actuel de révolution technologique. Comme expliqué précédemment, les tendances lourdes, démographiques et géopolitiques, laissent penser que les flux financiers originaires d’Asie et des États-Unis et à destination de l’Europe vont se tarir. Or, dans une période de reprise économique, tirée par l’innovation, l’épargne est le moteur fondamental.

Par nature, les innovations s’inscrivent dans le temps long et nécessitent d’importants investissements en recherche et développement. Aussi, ces dernières doivent attirer durablement des flux importants de capitaux, c’est-à-dire de l’épargne. Mais une fois commercialisées, les grandes innovations – dites disruptives ou fondamentales – doivent encore être acquises et adaptées par les différents secteurs de l’économie, ce qui signifie que, lentement, toutes les entreprises vont investir pour les acquérir.

Financement - StatistiquesEt plus un cycle d’innovation est fort, plus il nécessite d’investissements pour être amorcé et soutenu. Or ces investissements sont majoritairement des fonds prêtés par les épargnants, soit directement, soit par l’intermédiaire des fonds de pension ou d’investissement. Puisque le cycle technologique qui s’amorce promet de changer l’économie et la société en profondeur, il va nécessiter beaucoup d’épargne.

Les secteurs innovants ont donc intérêt à s’intéresser à la Silver économie pour attirer l’épargne des seniors, qui représente 17 % de leurs revenus – contre seulement 1 % pour le reste de la population. En effet, aujourd’hui l’épargne des seniors est principalement constituée de compte épargne ou de livrets aux rendements très faibles mais sans risque. En parvenant à les convaincre de l’utilité de placer leur épargne dans des projets innovants dont ils profiteraient directement, les secteurs innovants bénéficieraient d’une manne importante qui garantirait le financement de leur activité.

Mais pour les convaincre, les entreprises innovantes doivent entrer de plain-pied dans la Silver économie et démontrer l’adéquation de leur projet avec les attentes des seniors. En d’autres termes, il est temps de comprendre que, loin d’être un poids pour la société, les seniors sont des consommateurs à privilégier et des partenaires incontournables dans le financement de l’économie.

Focus sur Le Cercle Turgot et l’auteur

Cercle TurgotLe Cercle Turgot, fondé par Jean-Louis Chambon, rassemble les meilleurs experts du monde de la finance, universitaires, dirigeants d’entreprises et d’institutions réputées, auteurs de nombreux best-sellers dans le domaine économique et financier.

Pierre Bentata, qui a fondé en 2016 le Cercle de Belem, regroupant des intellectuels européens ayant pour objectif de replacer les débats économiques, politiques et sociaux à l’échelle européenne, intervient également régulièrement dans la presse économique française. Il est aussi l’auteur de l’essai Des Jeunes sans histoire paru en 2016 aux éditions Libréchange et a publié Les désillusions de la Liberté en 2017 aux éditions de l’Observatoire.


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Cet article a été publié par la Rédaction le

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